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Ma Juva Story

Par Jean-Pierre Leroy
de Dunkerque

 

En septembre 61, alors que je roulais en Solex, je me suis acheté une Juvaquatre, c'était ma première voiture. Mon grand-père m'avait offert son Solex, quand j'ai obtenu le CAP de mécanique auto, en juin 60. Puis j'ai commencé à travailler en juin 61.

Les premiers sous gagnés furent pour m'acheter une Juvaquatre. Cette petite voiture n'était pas inconnue pour moi, et l'occasion s'est présentée. C'était une fourgonnette à moteur latéral 6 Cv. Verte, équipée d'une galerie, elle était belle comme tout.

Ma Juva en 1962, dans toute sa splendeur, garée dans la cité des fortifications à Dunkerque. A l'époque, j'étais mécanicien dans une entreprise travaux publics qui construisait une énorme digue qui sépare les hauts-fourneaux d'Usinor et la Mer. Quel chantier !

Ci-dessus, nous trois, en 1962. Avec notre Juva, nous étions les plus heureux du monde. C'était notre voiture, un luxe pour l'époque.

 

Il était une fois, un dimanche de juin 62, nous étions 6 garçons et filles dans la Juva, nous partions de Dunkerque voir un championnat de Moto Cross à Cassel. A l'époque, les motos anglaises 4 temps, 350 et 500 cm3 en échappement libre, étaient les reines du monde. Il y avait des BSA, Norton, Triumph, etc… A l'arriére de la Juva, ils étaient quatre étaient assis à même le plancher. Ma fiancée était devant, et les copains et copines derrière nous, assis en tête bêche, deux derrière le chauffeur, et deux derrière la passagère. Comme les sardines ! On fonçait pour arriver à Cassel avant le départ de la course prévu à 14 heures, car le moment crucial : le départ des motos. Sur la route de Bergues, après les Sept Planètes, la Juva frisait les 100 km/h. Un violent cliquetis sort du moteur, plus de puissance, ça tourne sur trois pattes. On s'arrête : j'ai décalotté un piston. Pas trop de dégâts, car la tête du piston est restée bloquée en haut, et la jupe a guidé la bielle quand le moteur tournait encore. C'est foutu pour le moto cross, alors que j'étais si fier d'y amener mes copains. On a remisé la Juva chez un brave homme qui travaillait dans son jardin. Puis, miracle, arrive un bus Citroën. On fait signe. Il s'arrête. Tout le monde prend place et nous rejoignons Cassel. C'était moi le plus malheureux, j'avais du abandonné ma Juva Le moteur à peine réparé, je suis parti à l'armée. La Juva m'a encore attendu 16 mois. A mon retour, elle m'a amené au travail plus d'un an encore.

Bien avant cette période, dans les années 55, quand j'avais 12-13 ans, l'ami de mon Père, Fernand, était radio électricien dans notre village. Il habitait en face de chez nous, il avait une Juvaquatre.

Pendant les vacances, je partais avec Fernand en Juva pour l'aider en électricité dans les fermes du village. J'étais le mousse. On installait l'éclairage, un moteur, une trayeuse électrique dans une étable. Fernand chantait quand il travaillait. Je le regardais réparer un poste de radio. Fernand a appris la radio en cours par correspondance. Son diplôme était fixé en bonne place dans la salle à manger. Il achetait les pièces détachées et montait le poste radio intégralement lui-même. Il l'alignait, le faisait chanter une journée entière et le vendait. Chaque foyer du village avait un poste radio monté par Fernand.

Fernand fut mon premier professeur de technologie sans le savoir. Il m'a appris le b.a. ba de l'électricité.

J'étais content d'entrer dans sa voiture, il me faisait appuyer à fond sur la pédale pour démarrer le moteur. Le meilleur moment était de rouler avec Fernand, j'étais à coté de lui. Il chantait dans sa Juvaquatre en rentrant au village. L'arrière de sa Juva était rempli de boîtes contenant les vis, colliers, interrupteurs, prises de courant, bobines de fil, ampoules, résistances, condensateurs, lampes radio, haut-parleurs..

Pour moi, sa Juva renfermait un trésor où je découvrais les merveilles de technologie de l'époque. Je me disais, ‘plus tard, j'aurais une Juva comme Fernand. Il était mon idole. Car Fernand savait tout faire, il réparait tout dans le village.

D' ailleurs, quand on s'est marié (en 63, jeune dame sur la photo), c'est à Fernand que nous avons acheté notre premier téléviseur, un Clarville 70 cm noir et blanc. Il nous faisait crédit ce brave Fernand. Il est venu le livrer avec le mât et l'antenne fixé à la galerie de sa Juva Ce jour-là, il y avait deux Juva à la maison, la mienne et celle de Fernand. Pas beau ça ? Pour la machine à laver, il vint plus tard chez nous dans une nouvelle Estafette, modernisme oblige, elle avait une galerie comme la Juva…

Il est mort, mon Fernand, en juin 2004, à 91 ans, en rentrant d'un spectacle de chorale, où il avait, paraît-il, chanté tout l'après midi. Il s'est éteint, en conduisant sa Renault 5. Durant toute la messe de son enterrement, j'étais avec lui, dans sa Juva, les larmes me coulaient sur les joues comme à un gamin de 10 ans, je ne savais pas me retenir. Une chorale chantait à tout va dans cette belle église, mais je n'entendais et je ne voyais que mon Fernand…. Ce jour-là, nous avons fait un grand tour à deux, dans sa Juva…

 

Septembre 2004, je lis les petites annonces : Juva à vendre. Coup de cœur. Tous nos souvenirs reviennent, à mon épouse et à moi-même, on va revivre tout ça si on achète cette Juva… Ni une ni deux, je conclus rapidement l'acquisition.

J'en parle à mes frères et sœurs qui ont connu ma Juva en 62. Eux aussi se souviennent de tout et se revoient là dedans…à l'arrière assis sur une caisse à orange. Ils veulent voir la nouvelle. Ils n'en croient pas leurs yeux, pensant que ces voitures n'existent plus depuis longtemps…

Revenons à l'époque 63 64. Ma Juvaquatre a servi de camionnette de déménagement pour nous, et pour les copains. La Juva ne contestait pas s'il fallait faire 5 voyages dans la journée. Même les sacs de charbon, tout allait derrière. J'avoue que ma juju a souffert, je ne l'ai pas ménagée. Étant mécano, une panne ne durait pas longtemps. A tel point, que j'ai fini par la négliger car je l'entretenais au strict minimum. Elle était devenue l'esclave. En fin de vie, elle n'avait plus de démarreur, la manivelle suffisait.

La dynamo ne chargeait plus, j'avais placé une batterie de camion, tellement haute que les bornes touchaient le capot moteur fermé. Un chiffon faisait isolant. Dans l'atelier d'engins où je travaillais, la grosse batterie était souvent en charge.

Un dimanche soir, en rentrant avec mon épouse à St Omer (62), où je travaillais, un seul phare fonctionnait sur ma Juva. Évidemment, on s'est fait arrêter par deux hommes en tenue bleue, bottes cuir, petits calots, ils nous attendaient…

Le motard demande les papiers, et contrôle le fonctionnement des feux. Il me demande d'arrêter le moteur. Je lui réponds que je ne pourrais plus le redémarrer, en lui montrant le démarreur en pièces détachées sous le siège. Il insiste : et j'arrête quand même le moteur. Les clignotants ? Y en a pas, ce sont des flèches. Alors, montrez le fonctionnement. Évidemment, elles s'allument mais ne se lèvent pas. Et alors ? . Je saisis la galerie de ma juju, je la secoue un peu, et les flèches se lèvent !!! Je lui dis qu'en roulant, elles se lèvent très facilement par les vibrations, la preuve. Ce n'est pas fini. Il manquait un feu arrière, l'éclairage plaque, et un phare. Vous avez des ampoules ? Pas ici. Mais vous faites quoi dans la vie, vous ne pouvez pas changer une ampoule ?

Oh si, je suis mécano, je travaille sur les engins du ‘chantier des Fontinettes'.

Et j'enchaîne : c'est le dernier voyage pour cette voiture, car j'ai acheté une 203 en parfait état de marche. Je l'aurai la semaine prochaine. Je lui montre la carte grise barrée de la future 203, et aussi une fiche de paie où c'est bien spécifié : Mécanicien - diéséliste dans cette entreprise qu'il connaissait. Pendant ce temps, ma femme était restée assise dans la Juva, sans bouger. Enceinte, elle avait une couverture sur les genoux, tellement elle avait froid. Le motard appelle son collègue resté posté 10 mètres plus loin.

‘Viens voir, c'est un mécano, regarde avec quoi il roule, il n'y a plus rien qui fonctionne dans sa bagnole, je n'ai jamais vu ça!'.

Ils m'ont rendu les papiers : ‘vous partez, on ne vous a pas vu, roulez bien à droite, et pas vite, s'il arrive un accident, on ne vous connaît pas, on ne vous a jamais vu. On est rentré sans problème, mais au fond de moi-même, je n'étais pas fier de moi.

Et la semaine suivante, la juju est partie à la casse. Les vieilles voitures partaient de cette façon. Quand j'y pense maintenant, j'ai le cœur gros.

Une multitude de souvenirs me reviennent avec ma juju.

Un dimanche avec des amis, nous sommes allés pique-niquer au lac d'Ardres (62) avec une barque montée sur la galerie, la Juva roulait ‘le cul par terre'. Un jour, par vent violent, le capot moteur s'est ouvert en se rabattant sur le pare-brise : Black out ! . Un soir très tard, je me suis endormi au volant, la juju a déraciné un poteau de signalisation routière. La juju a des goûts de moto, elle s'est mise sur deux roues dans un virage pris trop vite.

Quel dommage, quel gâchis, une vrai Juva à moteur latéral, qui marchait encore bien. Il suffisait de se pencher un peu sous le capot, et de la remiser quelque part dans une grange, sous la paille. Et repos complet quelques années...

Je vous assure que j'ai toujours pensé à ma Juvaquatre La preuve, je garde précieusement les quelques photos de cette belle juva qui nous restent.

Malgré les 203, Dauphine, R4, R16, etc., qui ont suivi, celle qui a vraiment compté, c'est notre Juvaquatre, c'était notre première voiture la plus appréciée.

Quand la nouvelle Juva arrive à la maison un après-midi de septembre 2004 : Branle-bas de combat à la caserne ! Maintenant, on ne rigole plus, tout le monde est consigné. Un voisin sort le numérique et commence une séance photos sous toutes les coutures. Par hasard, mon neveu passe en voiture et s'arrête à coté de l'attelage, en bloquant la circulation. Il se rappelle qu'il est monté dans ma Juva quand il avait 5 ou 6 ans. Il est vraiment ému, éberlué de revoir la même voiture. Des automobilistes arrêtés lèvent le pouce.

Ci-dessus, la nouvelle Juva arrivant de Lillers (Pas de Calais) sur la remorque du club accrochée au camping car. Complète à 95 %. Une restauration commencée a été abandonnée.

Je descends la Juva de la remorque avec les précautions d'usage, tout le monde assiste. J'ai des remords de conscience, je ne laisserai plus jamais une Juvaquatre à l'abandon, c'est impossible. Puis, le lendemain, commence le démontage complet. Moteur, boîte, pont, train avant complet, tout y passe.

Alors là : le rêve retrouvé, d'autant plus qu'au collège technique de Dunkerque où j'ai passé 4 années de 57 à 61, il y avait une Juva On apprenait la mécanique sur ce genre de moteur à l'époque. Et celle-ci a le moteur Ventoux, c'est une Dauphinoise, un poil plus moderne.

En bricolant cette mécanique, je me revois 45 ans en arrière, mes 17 ans, dans l'atelier de mécanique auto du Collège Technique, dont la grande porte s'ouvrait sur la rue Benjamin Morel. Je revois mon prof, mes anciens copains, les outils, la cour du collège où la sirène hurlait toutes les heures… Ancienne technique que ce moteur, mais le plaisir de tout refaire sans difficulté réelle, tellement c'est simple. Cette fois-ci, je m'occupe d'elle. De septembre à mars 2005, au chaud dans le garage, ce fut un régal. Seule la boîte de vitesses n'a pas été démontée. Après une visite par le couvercle où tout semblait neuf, je n'ai pas démonté pour ‘le plaisir de démonter', car ensuite, il faut tout remonter. Malgré la simplicité, il ne faut pas faire de bêtise au remontage, vous voyez ce que je veux dire… J'ai démonté le pont, jeu important entre le pignon d'attaque et la couronne. Réglage du couple conique comme à l'école…Malgré tout, il chante encore, je me dois de revoir le réglage.

Ci-dessus, moteur, boîte et pont revus, refaits et repeints. Ailes et portières déposées.

Le moteur : évidemment démonté à 100%. Rodage des soupapes. Pignon Céleron remplacé. Puis tout remonté à l'identique : bielles, pistons, segments. Pas d'usure significative. Pourquoi changer les pièces ? Il faut faire tourner ces anciennes bielles avec leurs coussinets d‘origine si rien n'est usé… Dynamo, démarreur, démontés, nettoyés, repeints.

 


Le châssis : j'ai eu la chance de tomber sur une Juva en bonne santé. J'ai enlevé le Blakson sous la coque au gas-oil et au grattoir. Celui-ci était appliqué sur la rouille et la terre…
Et là, est apparue une petite faiblesse due à la corrosion sur un longeron, que j'ai solidement renforcé par une tôle rapportée.
La carrosserie : impeccable. Cette voiture achetée neuve par un agriculteur des environs de Lillers en 55, n'a jamais subi de corrosion par l'air salin contrairement à ma première Juva achetée à Grande Synthe, située en bord de mer.

 
  Carrosserie vidée et retournée pour enlever le Blakson sous le châssis.

Evidemment, quelques pièces sont manquantes, cassées ou perdues. Comme tous les amateurs de voitures anciennes, je les trouve, une par une, dans les bourses d'échange. Là, j'ai beaucoup de plaisir à me déplacer les week-ends, avec mon épouse, car ce sont des rencontres de gens connaisseurs, passionnés et sympa. A Reims, Hesdin, Bruges, Lomme, Audruicq.

Peinture. J'ai passé un apprêt, chez moi, dans le garage. Ponçage, puis deuxième application jusqu'à obtenir un résultat correct. Ca y est : je sais peindre. Tout finit par arriver…Auparavant, quand je faisais de la peinture au pistolet, ça finissait toujours en catastrophe ! Cette fois-ci, avec la nouvelle Juva, je suis devenu bon, enfin…

L'apprêt est en place. C'est propre.

 

Donc, je continue par la peinture intérieure des portes, en couleur définitive, avec vernis et durcisseur. Une chose à la fois, il ne faut plus se presser, j'ai le temps, c'est la retraite. Il était prévu dès le départ que la peinture définitive soit faite par un peintre professionnel… Heureusement. Trop confiant, en peignant les intérieurs de portes, je me suis asphyxié par les émanations de solvants. Le soir même, je ne savais plus respirer, 40° de fièvre, deux jours couché, médecin, antibiotiques, etc… Puis, la Juva est partie comme prévu pour la peinture chez un professionnel. Trois jours plus tard, le bonheur. Elle était plus belle que tout !

Dunkerque, samedi 7 mai 2005. Première sortie de ma nouvelle Juva pour la commémoration de l'Armistice avec des voitures d'époque. (Moi aussi, 1943).

Celle-ci est sortie en 55. Au club ‘Dunkerque en Torpédo', nous l'avons maquillée pour l'occasion. Autocollants sur les phares pour l'effet de camouflage, et numéros d'immatriculation d'époque : 3470 MD 5. La Juvaquatre est sortie en 1938. Beaucoup d'entre elles ont roulé pendant la guerre. Dans le film ‘Week-end à Zuydcoote', qui fut tourné dans les dunes de Zuydcoote et Bray Dunes, lieu où s'est réellement passé en juin 40 la tragédie du rembarquement, figurent une dizaine de Juvaquatre J'arrête ici ma ‘Juva Story'. Néanmoins, je ne vous dis pas combien de personnes rencontrées en ville ont également plein de souvenirs de Juvaquatre.

 

© Jean-Pierre Leroy juin 2005